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Le char Somua S35, ce dont je me souviens...


Par le Lt-Col Baillou, ancien de la 3e DLM en 1940 puis engagé dans la 2e DB. Il est aujourd'hui administrateur de l'association des amis du musée des blindés de Saumur.


Pourquoi ce titre ? Je ne peux prétendre tout connaître à propos du char SOMUA S 35. J'ai vu arriver son prototype tout au début de l'année 1936. C'était à Reims, au quartier "Jeanne d'Arc" que partageaient à l'époque le 18e Dragons et le tout nouveau 4e Cuirassiers, ex 4e Régiment d'automitrailleuses.
Je n'étais qu'un jeune maréchal des logis, "candidat aux écoles" selon l'expression d'alors. Je ne pouvais tout savoir de son élaboration. Cependant, les circonstances ont voulu que je fasse partie de la petite équipe chargée de son expérimentation. J'ai pu piloter moi même ce prototype encore instable et capricieux. Huit ans plus tard, en août 1943, lieutenant chef de peloton, je fus désigné pour reverser définitivement à la garde mobile d'Oran les 13 derniers engins de ce type qui restaient à l'armée française. Entre temps, pendant ces huit années, je n'ai servi que ce matériel et combattu à bord en Belgique et en Tunisie.
Voici ce dont je me souviens après 60 ans !
Le premier contact
Nous vîmes donc un beau jour arriver au quartier une imposante machine peinte en noir, dans un grondement sourd laissant deviner des chevaux sous le capot. Le moteur initial était, nous avait-on dit, un V8 Hispano de 200 CH. La "bête" vira avec une étonnante facilité devant le bureau du colonel Evain avant de s'immobiliser, aussitôt entourée de curieux. Un civil en salopette et en béret basque en sortit. Ce pilote arrivait directement de Rueil par la route, et à une moyenne surprenante. Nous avions devant nous le char dit "de Cavalerie" que nous attendions et qui devait par la suite se révéler le meilleur engin de combat de sa génération.
Arriva également au régiment pour y effectuer son temps de commandement, le capitaine Dentes, breveté technique. Il prit ses fonctions à la tête du 4e escadron, celui auquel je servais, et se mit aussitôt au travail avec pour mission d'expérimenter le prototype du char moyen de 19 tonnes, proposé par la Société d'Outillage Mécanique et d'Usinage d'Artillerie (SOMUA). Une petite équipe fut constituée. Un pilote militaire fut choisi le brigadier Melkowski.
Jour après jour, les essais se poursuivaient, principalement sur route. La vocation de ce futur engin de combat étant de rouler vite et loin, il se devait donc de posséder une mécanique fiable. Alors semaine après semaine, nous le cassions. Il repartait aussitôt sur plate-forme à Rueil, pour nous revenir très vite par route et toujours plus fringant. Il fut finalement choisi entre plusieurs concurrents dont je n'ai connu que le Renault Y car il nous avait été également confié.
Une présérie de 4 châssis suivit rapidement pour être testée en terrain varié cette fois, en particulier dans la craie toujours apparente et nue des Monts de Champagne labourés pendant 4 ans par l'artillerie 20 ans plus tôt. A l'issue des essais, nous savions notre futur char apte à soutenir une vitesse de 40 km/h sur route. Par contre, le profil des patins de chenille dut être modifié, le prototype accrochant mal la route. Combien de vols planés avons-nous fait dans les fossés !
Produit en série
Au début de 1938. le SOMUA fut produit en série et le 4e escadron, toujours sous les ordres du capitaine Dentes, premier servi. D'ailleurs, la 1ère Brigade Légère Mécanique (18e Dragons et 4e Cuirassiers) fut entièrement équipée pour la mobilisation partielle de 1938 à la suite des événements de septembre : l'affaire de Sudètes. Les échelons "A" de cette brigade gagnèrent Verdun par la route un un temps record. Je dois dire, pour être parfaitement honnête, que les deux autres escadrons H 35 qui dans chaque régiment complétaient les deux escadrons S 35, se comportèrent à cette occasion tout aussi honorablement, Ils roulaient seulement un peu moins vite.
Les atouts du S35
Le SOMUA, et je ne suis pas le seul à le penser, fut le meilleur engin de son époque. Ses atouts étaient :
une coque remarquable, fractionnée en trois éléments principaux plus la tourelle, lesquels après déboulonnage pouvaient être séparés, facilitant l'accès à toute la mécanique. il n'était pas rare de voir rouler un SOMUA en réparation, débarrassé de ses deux demi-carcasses supérieures, compartiment de combat et compartiment moteur à l'air libre,
un blindage de 40 mm à peu près uniforme, en fonte coulée, lequel a prouvé à maintes reprises son efficacité
un très bon moteur V8 de 190 CH (et non de 200) très suffisant pour entraîner les 19 tonnes à la vitesse que nous souhaitions.
un astucieux système de direction agissant par accélération de la chenille extérieure et non par freinage de la chenille intérieure, ceci grâce à deux embrayages latéraux tournant à la vitesse du moteur et non à celle de la sortie de boite. Résultat plus le rapport des deux vitesses était important, plus le char virait court. Au point mort, le char pivotait sur place.
une vitesse instantanée de plus de 40 km/h sur route. Au Sénégal, au cours dune démonstration sur sol dur de latérite j'ai atteint un cours instant le 50 km/h.
enfin une fiabilité de l'ensemble des plus satisfaisant. En Tunisie, en dépit de la raréfaction des pièces de rechange, le dernier escadron SOMUA de l'armée française a pu totaliser vaille que vaille prés de 1000 kilomètres par engin sur des terrains difficiles faits de sable et de rocaille.
J'ai toujours regretté que cet excellent char fait pour la vitesse, n'ait pas été doté d'un train de roulement dérivé du système Christie à grands galets : lequel fit, plus tard, la part la plus importante du succès du T 34 russe. J'ai aussi souvent critiqué pour en avoir souffert, l'incommodité de la tourelle monoplace. Enfin, et ce fut le défaut généralisé de l'ensemble de notre matériel, absence de moyens fiables de communication et d'interphone.
Tel qu'il nous fut livré, le SOMUA était remarquable et nous avons "fait avec". Il aura fallu l'arrivée du matériei américain en 1943 pour que nous nous disions : comment avons-nous pu nous battre seuls en tourelle ? Comment avons-nous pu nous passer d'interphone ?
10 mai 1940... l'heure de vérité


La France aligne trois Divisions Légères Mécaniques, la 3e toute neuve, créée à partir du 1er janvier autour de Saumur. J'en fais partie. Deux régiments de chars par D.L.M. Deux escadrons SOMUA à 22 engins par régiment. La France possède donc 12 escadrons S 35 au total. C'est peu. Le commandement avait souhaité harmoniser ses régiments à 4 escadrons S 35. On nous a affirmé que cette carence était due aux mouvements sociaux qui périodiquement à Rueil et à Puteaux paralysaient la production. J'ai moi-même été le témoin d'une grève aux usines Cail à Denain, et cela le 7 mai, soit 3 jours avant l'offensive (J'ai vu une chaîne de 20 caisses de S 35 en cours d'usinage arrêtée depuis trois jours. A notre question pourquoi vous arrêtez-vous ? Nous avons un besoin urgent de ces chars. Réponse des ouvriers, je cite tel que je l'ai entendu "Oh, nous on ne sait pas. On voudrait bien travailler mais c'est la C.G.T. qui nous a donné le mot d'ordre !")
La 1ère D.L.M. aligne 4 escadrons S 35 (18e Dragons, 4e Cuirassiers). Au sein de la 7e Armée (Général Giraud) elle va tenter de donner la main au nord à la Hollande.
Le corps de cavalerie, au centre de la Belgique, avec ses 8 escadrons SOMUA (13e et 29e Dragons, 2e D.LM. et 1er et 2e Cuirassiers, 3e D.L.M.) va se porter vers l'est, vers la Meuse, à la rencontre du 16e Panzerkorps afin de le retarder cinq jours au minimum, en s'engageant conformément aux règlements d'emploi des D.L.M. : Dans la défensive, infanterie (Dragons portés) se regroupe en point d'appui, les chars se rassemblent en arrière, prêts à contre attaquer entre les points d'appui.
C'est ce dispositif qui fut adopté par la 3e D.L.M. laquelle se trouvant à cheval de part et d'autre de la nationale Liège-Bruxelles va subir l'assaut concentré des 3e et 4e Panzer Divisions.
Le 12 mai 1940 enfin d'après-midi, le point d'appui de Hannut est attaqué avec une grande violence par le Groupe Blindé Eberach. Les chars allemands pénètrent au centre du village. Une première action est menée par l'escadron de Hotchkiss (H 39) Sainte-Marie Perrin (2e Cuirassiers). Les H 39 sont détruits les uns après les autres, le capitaine est tué.
Le colonel Du Vigier lance alors en contre attaque l'escadron SOMUA du capitaine de BEAUFORT. L'ennemi est immédiatement chassé du point d'appui avec de lourdes pertes. D'après une source belge, le général Hoeppner (16e PZK) aurait été tellement impressionné par la puissance du S 35 comparé à celle du H 39 (il s'agissait là de la toute première confrontation entre les matériels français et allemands), que dans la nuit du 12 au 13 mai, il fit passer la consigne pour le lendemain à tous ses équipages, de s'engager à fond contre les matériels Hotchkiss, mais d'éviter le combat avec les S35 sauf à très courte portée ou par les Pz IV (canon de 75). Ce fut du reste pratiquement à bout portant que furent touchés le lendemain, 13mai, les SOMUA qui disparurent. Jusqu'à 1 000 m, le canon de 47 surclassait tous les matériels allemands.
Le 13 mai, en début d'après-midi, l'escadron SOMUA du capitaine Ameil (2e Esc/1er Cuir) fut lancé en contre attaque contre la position de départ de 14e PZD Conscient du pouvoir de ses canons de 47 mm, le capitaine arrêta ses pelotons sur une position de tir reconnue, à 800 m des Allemands agglutinés au long d'une lisière. L'ouverture simultanée du feu des quatre pelotons S 35 fit un massacre parmi les PzKw II (canon de 20 mm) et III (canon de 37 mm incapables de riposter efficacement). Le débouché de la 4e Panzer fut contrarié et il fallut une manoeuvre d'enveloppement de toute la 3e PZD pour faire tomber la position du 1er Cuirassiers. Et là encore, trois pelotons du 1er escadron (Lt Mazeran) parfaitement embossé sur le flanc de l'adversaire, lui détruisirent une bonne cinquantaine de chars, avant de succomber, faute de munitions. Seul le peloton Racine parvint à se replier. Le soir au bivouac, nous avons relevé 29 impacts de 20 mm et de 37 mm sur le blindage de son SOMUA. Sur les 42 chars du Groupe SOMUA du 1er Cuirassiers, le 13 mai au soir il n'en restait plus que 16, tous couverts d'impacts.
Les combats se poursuivirent après la rupture de la ligne de la Dyle à Gembloux, la 2e D.L.M. en forêt de Mormal, le 18e Dragons au Quesnoy le 4e Cuirassiers à Landrecies. Jusqu'au bout, les derniers SOMUA furent engagés avec succès. Les tout derniers furent sabotés par leurs équipages en vue de Dunkerque.
Signalons enfin la présence de S 35 (3e Cuirassiers) au sein de la 4e Division Cuirassée (Col de Gaulle) devant Montcornet et Abbeville à la fin du mois de mai.
Un ordre particulier du général Weygand avait prescrit d'évacuer en priorité de la poche du nord, le personnel de ce qui n'était pas encore l'Arme Blindée Cavalerie (Chars et Cavalerie). De retour en France début juin, ce personnel sous les ordres du général Langlois, nouveau patron du Corps de Cavalerie, fut réarmé de bric et de broc avec le matériel qui put être récupéré dans des dépôts en voie d'évacuation. Parmi ce matériel, une trentaine de SOMUA furent confiés aux capitaines Ameil et Granel. Ils participèrent aux combats de la Loire qu'ils franchirent à hauteur d'Angers (Ponts de cé). L'armistice signé, ils furent livrés aux commissions d'armistice et regroupés en Dordogne, dans des parcs fermés.
Négociations d'armistices
Au cours de l'été 1940, les Anglais appuyant les Français libres, avaient tenté sans succès de s'emparer de Dakar, et de faire ainsi basculer notre A.O.F. dans le camp des alliés au même titre que l'A.E.F. du gouverneur général Éboué venait de le faire. La défense d'un lointain Sénégal n'intéressait pas les Allemands. Le gouvernement de Vichy, désireux de conserver l'A.O.F. a proposé à l'occupant de prendre à sa charge la défense de Dakar, à condition bien entendu, que soit rendu du matériel moderne, entre autres des SOMUA, ceux la même que nous venions d'abandonner en Dordogne, l'initiative en serait venue de la direction de la cavalerie à Royat où se trouvaient le colonel Leyer, et les commandants De Beaufort et Demetz). Après Dakar et Mers El Kebir, les Allemands nous croyaient murs pour une loyale collaboration. Royat avait une autre optique (je tiens, l'information de la bouche même du commandant De Beaufort lors de sa visite au Sénégal en 1942). Royat avait entrevu dans cette opération le moyen de récupérer et de faire passer en Afrique non seulement du matériel mais aussi du personnel qualifié char, provenant de nos D.L.M, personnel pour l'instant disséminé dans nos régiments de l'armistice où faute de mieux, il pratiquait le cheval et le... vélo.,
Vingt-deux SOMUA nous furent donc rendus, et coté personnel, de quoi mettre sur pied un escadron, ratissé dans les régiments. En dépit de leur candeur, les Allemands avaient refusé l'embarquement à Marseille des pièces de rechange indispensables et de plus d'une seule unité de feu par engin, ils pensaient ainsi limiter à peu de chose la capacité de combat de cet escadron. Là se situe, sur les quais mêmes, un épisode qu'il convient de rapporter, tant il révèle le caractère français, épisode qui va assurer la longévité de l'escadron du capitaine Gribius et lui permettre de combattre en Tunisie, ce que les Allemands avaient toujours voulu éviter.
Dans la nuit, alors que le quai d'embarquement était abandonné à la très nonchalante surveillance d'Italiens, notre équipe d'embarquement vida en vrac dans les cales Quand les Allemands s'aperçurent du subterfuge, le cargo était en mer, avec nos hommes à la lisse, brandissant force "bras d'honneur". En juin 1941, les chars après remise en état à l'E.R.M. de Meknès, furent embarqués à Casablanca et le groupe autonome du 1er RCA constitué. Il allait devenir le 12e RCA et parvenir au Sénégal où rien ne s'est passé, et surtout pas de nouvelle tentative anglaise, grâce au ciel !
Seconde vie en Afrique
Novembre 1942. C'est le tournant de la guerre. Les anglo-saxons débarquent en A.F.N. L'Afrique occidentale enfin, rejoint le camp des alliés. Nous attendions cela depuis si longtemps... Les Allemands à leur tour débarquent en Tunisie et pour ralentir leur progression vers l'Ouest, l'Armée Française d'Afrique du nord, bien que pourvue de moyens très insuffisants, se porte sur la frontière Algéro-Tunisienne. Elle dispose de peu de chars, de vieux modèles, quelques Hotchkiss H 35.
Un escadron SOMUA qui passe encore a cette époque pour moderne, n'est pas à négliger. Le 1er janvier 1943, le général Giraud lui-même, vient nous chercher au Sénégal. Nouvel embarquement à Dakar, escale à Casablanca, autre escale à Gibraltar, gigantesque convoi vers Alger attaqué de nuit au large de Mostaganem, débarquement puis aussitôt après un bref passage aux ateliers de Boufarik, Tebessa.
Rommel compte s'emparer de cette porte vers l'Algérie pour, de là, remonter vers Constantine et la mer.
Mais il a perdu sa légendaire puissance, il doit renoncer. Nos SOMUA que l'on prétendait lui opposer faute de mieux, sont alors, par la montagne et la région des mines de phosphate, dirigés vers Gafsa. Heureusement pour nous, l'affrontement entre nos petits 47 mm et des Panzer IV, servis par des vétérans n'aurait pu tourner qu'à notre élimination. Dans le Sud nous rencontrons surtout des Italiens, adversaires bien plus à notre portée. Et ceux-ci, nous le sentons, n'en veulent plus. Nombreux accrochages, nombreuses mines. En dépit de terrains de rocaille, de sable, de lits d'oueds à sec, servant de cheminements, dans lesquels les chars sont obligés de tracter les véhicules à roues, le SOMUA, ce vieux compagnon, est toujours là.
A la fin du mois d'avril 43, l'escadron est transféré vers le nord. Il prend position en face de Pont-du-Fahs, un verrou que les Allemands tenaient fermement depuis plusieurs mois. Le 8 mai, le 3e Étranger d'Infanterie le fait sauter. De là à la mer s'étend une plaine, dominée au loin par la masse isolée du mont Zagouhan. Cinquante kilomètres d'exploitation sont offerts au dernier escadron SOMUA de l'Armée Française pour son ultime mission. Et quelle mission ! Tendre la main à la 8e Armée qui remonte en suivant le littoral, et participer au « bouclage » du cap Bon dans lequel se sont entassés près de 200 000 Germano-Italiens. Un petit Stalingrad en Afrique.
Le 9 mai au matin le 2/12e RCA s'engage à toute allure sur la route d'Enfidaville. Personne... Le vide, à part quelques détachements légers ennemis en fuite et qui sont vites expédiés. Je dois mener avec mon peloton l'avant-garde jusqu'au village de Moghrane à partir duquel le peloton de mon camarade Coupe doit me relever.
Accrochage en plein désert
Depuis la lisière Est de Moghrane, embossé derrière une haie de cactus, j'observe ce peloton qui s'éloigne. Je scrute à la jumelle l'horizon lointain de cette immense plaine, les pentes et le sommet de cet inquiétant Zagouhan d'où les Allemands, s'ils sont là, peuvent nous observer à loisir. Devant ces grands espaces que nos modestes 47 sont incapables de battre, je pense aux puissants tubes allemands qui pourraient trouver là des champs de tir d'élection. Je ne vois rien que quelques mirages provoqués par la chaleur. Je ne vois que des tourbillons de poussière soulevés par l'air chaud. Le peloton Coupe s'éloigne, il est bientôt à 2 kilomètres de Moghrane. Je ne peux plus rien pour l'appuyer. Il faut que je le suive.
C'est alors le drame que j'ai observé en entier, soulevé d'horreur. Quatre éclairs éblouissants au fond de la plaine. Le groupe de l'aspirant Mars qui ouvre la marche explose littéralement. Je vois des morceaux de métal qui volent en tous sens, la sinistre boule de fumée noire qui s'échappe de l'orifice du tourelleau, lequel s'est envolé, et le feu qui embrase les deux SOMUA.
J'observe tout cela et je ne peux rien c'est trop loin, mon 47 ne porte pas. Ah si j'avais eu ce jour là, ne serait-ce qu'un seul Sherman et ses si précieux obus au phosphore. Les Panzer IV s'acharnent (nous avons relevé entre 10 et 12 perforations de 75 dans chacune des 2 carcasses calcinées à l'intérieur desquelles nos 6 chasseurs sont morts). Dans la tombe creusée sur les lieux, nous n'avons pu déposer que de pauvres débris inidentifiables. Les Panzer IV s'en prennent aux trois autres chars de Coupe. Ce dernier a pu faire demi-tour. Il s'éloigne à toute allure des pièces ennemies qui le poursuivent en l'encadrant. Peine perdue, il ne sera pas touché. Coupe, lui aussi ce jour là, aura poussé ses SOMUA à 50 km/h. Et ses vieux moteurs ainsi malmenés auraient dû exploser dix fois. Ils ont tenu et sauvé leurs équipages.
Lamartine avait raison... « Objets inanimés avez-vous donc une âme ? » La journée, celle du dernier combat du char SOMUA s'achève sous des déluges d'artillerie. L'Afrika-Korps vide ses coffres.
La fin de l'Afrika-Korps
Le 10 mai, tout est fini. Les Allemands posent les armes. Nous poursuivons notre progression, vers le cap Bon. En chemin, nous défilons devant des groupes d'Allemands rangés en ordre par unité. Ils n'ont pas l'air abattu. Ils nous observent en souriant, un rien goguenards, un rien méprisants. Ils semblent nous dire qu'ils appartiennent toujours à la race des seigneurs, que depuis deux ans ils ont mené la vie dure aux Anglais, qu'ils ont parcouru des milliers de kilomètres dans le désert de Tripoli à El Alamein et de l'Égypte à la Tunisie. Magnifiques spécimens de soldats, athlètes bronzés aux yeux bleus sous la grande lisière de leur casquette de désert. J'avoue que ce jour là, les hommes de l'Afrika-Korps m'ont impressionné.
11 mai 1943... L'escadron SOMUA poursuit sa route vers l'entrée du Cap Bon. A Sainte Marie du Zit, nous tombons sur l'intendance italienne. Différence d'attitude. Un petit déjeuner nous est servi avec un débordement un peu indécent d'amabilités. Expresso et petits pains chauds, avec, en prime, trois magnifiques camions bourrés de conserves, qui furent conduits par des chauffeurs italiens, lesquels nous ont suivis jusqu'à Rio Salado en Oranie et ont défilé avec nous déguisés en chasseurs d'Afrique, chéchia à trois bandes noires et ceintures rouge.
Le peloton du lieutenant Douboster s'engage sur le plateau qui s'ouvre sur le Cap Bon. Il découvre devant lui un groupe imposant d'officiers allemands en grande tenue, cols rouges de généraux, casquettes, ordre impeccable. Un officier d'état-major s'avance au devant de Douboster. Ce dernier, Lorrain, parle allemand. Il apprend qu'il a devant lui l'état-major des troupes allemandes de Tunisie, que le général Oberst von Arnim désire se rendre, mais refuse absolument de remettre son pistolet, comme le veut l'usage, entre les mains d'un officier français, fut-il général.
Le peloton Douboster va donc demeurer ainsi face aux Allemands durant plusieurs heures sans qu'un seul mot soit échangé. Il fallut attendre l'arrivée d'officiers anglais ! Pauvre Armée Française qui n'en finit pas de payer dans la déconsidération et le mépris sa défaite de 1940.
L'aventure du SOMUA s'achève à Tunis, lors du défilé de la victoire. Encore que les chars ne furent pas autorisés à défiler mais durent se contenter de faire la haie, servant de tribune aux spectateurs.
La fin des Somua
Retour en Oranie au sein du 12e RCA. La page est tournée, tous les esprits sont à présent obsédés par la perspective du réarmement par les Américains. Je me vois confier la mission de reverser définitivement à la garde mobile d'Oran les 13 derniers SOMUA qui nous restent. En arrivant chez les gardes, nos hommes ont tous arraché la plaquette SOMUA fixée sur l'avant du blindage. En arrivant à Temera et percevant leur Sherman, ceux-ci, comme moi-même, ont fait souder comme un souvenir et un porte-bonheur cette plaquette sur l'avant du poste de pilotage du char américain. Ainsi le souvenir de notre vieux compagnon nous a accompagné en Normandie, à Paris, Dompaire et Strasbourg, ainsi que la porte du SOMUA de l'aspirant Mars doublement perforée, et pieusement rapportée de Moghrane.

Blacknights

 

Discution

Musique

Histoire
Blitzkrieg